Extrait de l'œuvre
Une belle rencontre
Le narrateur, Leonardo, exilé cubain, est venu dans le pays Basque pour récupérer une valise pleine de documents. Il y rencontre un éleveur de "pottoks", les chevaux sauvages typiques de cette région...
Txirla s'est arrêtée de brouter, elle lève la tête et nos yeux se rencontrent.
"Tu permets que je glisse ma main dans ta crinière fauve ?"
Constatant que le petit cheval ne s'effarouche pas, je m'exécute avec tact, procédant par étapes. Je lui flatte la crinière, la nuque, le toupet et le front.
"Ton vieux maître a raison. Ton regard est plein de douceur et d'intelligence. Permets-tu que je vérifie quelques détails de ton anatomie ? Voyons, voyons, il paraît que le pottok doit avoir un chanfrein droit et long, l'œil vif, les naseaux larges et bien ouverts, la bouche fine et bien fendue. L'attache de la tête à l'encolure doit être fine aussi. J'ai fait le tour ! Tu es assurément la plus belle créature pottok que Dieu ait jamais conçue, Amande, tu es parfaite !"
La femelle ne bouge pas, elle se laisse cajoler, visiblement attendrie par le son de ma voix et mes compliments, ou serait-ce par les morceaux de sucre que j'ai glissés entre ses dents et qui ne la laissent pas indifférente ? J'ai toujours du sucre dans ma poche. Habitué à la pénurie cubaine, je ne laisse jamais traîner un morceau de sucre sur une table. Même en France, j'ai gardé cette manie. Souffrant du syndrome de "la période spéciale cubaine", j'en ai ramassé dans tous les cafés où je suis entré depuis mon arrivée ici. Résultat, j'ai les poches pleines de sucres joliment emballés, précaution inutile dans un pays qui ne connaît pas la carte de rationnement.
Quand Louis Altuna revient, il me trouve un bras autour du cou d'Amande, et l'autre flattant son cou et ses oreilles.
Eduardo Manet, "D'amour et d'exil", éditions Grasset et Fasquelle, 1999, p. 167-168.