Editorial Ouest-France : questions sur le texte | Marmontel : Essai sur le roman. |
Pascal : Discours sur la condition des grands |
Voici un texte tiré du quotidien Ouest-France du 13 octobre 2004 :
L'école est décidément une passion bien française.
Aucun pays n'y consacre autant de débats, de livres et de controverses.
Le «creuset de la République» est régulièrement assailli de
critiques. En vain, le plus souvent. Car c'est bien là le paradoxe.
Depuis quinze ans, on parie de réformer l'école, on s'inquiète du
niveau des élèves, jugé à la baisse. On glose sur le moral des
enseignants. On taquine le « Mammouth », n'est-ce pas Claude Allègre?
On l'afflige d'un tournis de réformettes, mais l'État, finalement, se
garde de toute véritable remise en cause, par crainte des
conflits.
Le rapport de Claude Thélot et de sa commission, remis hier au Premier
ministre, va-t-il, à son tour, subir le sort habituellement réservé
à ce type d'exercice : l'oubli prudent dans le triple
fond des caves ministérielles? Son encre à peine séchée, il fait déjà
l'objet de supputations diverses sur le peu d'intérêt que voudrait bien
lui accorder le ministre de l'Éducation nationale, François Fillon.
Les uns jugent les propositions bien timides, quand d'autres y
subodorent un instrument de destruction massive des emplois
d'enseignants. En France, la querelle scolaire n'oppose plus l'école
publique à l'école privée, mais les « républicains» nostalgiques de Jules Ferry, aux « pédagogues»
férus de modernité. Les Anciens contre les Modernes...
En réalité, Claude Thélot et sa commission balaient les traditionnels
clivages scolaires, y compris l'opposition droite-gauche. Ils opèrent
une révolution conceptuelle. Le modèle du collège et du lycée républicains,
cher à Jean-Pierre Chevènement, entre autres, jadis ministre de l'Éducation,
a été conçu pour former l'élite dont le pays et l'État avaient
besoin. La clé de voûte de l'édifice est le baccalauréat, diplôme
national et outil de sélection encore impitoyable sous son apparente démocratisation.
Il trie les élèves, le bon grain étant destiné aux nobles grandes écoles.
Le système reproduit ainsi avec vaillance les inégalités. Thélot et
son équipe raisonnent tout autrement. En architectes. On ne construit
rien de solide sans bonnes fondations, rien sans un socle de
connaissances maîtrisées par tous au cours de la scolarité
obligatoire. Un socle en granit, s'il vous plaît.
Utopie dangereuse, craint Jack Lang. Elle mènerait, dit-il, à un
abaissement général des ambitions éducatives. C'est aller un peu vite
en critiques, car ce sont les parlementaires eux-mêmes qui traceront
les contours de ce cercle vertueux des connaissances indispensables à
l'honnête homme du XXIème siècle.
Il y a beaucoup de tartufferie dans la nostalgie actuelle d'un
soi-disant âge d'or de l'école. En réalité, la vraie fidélité aux
hussards de la République conduit à repenser ce que doit être une
«école juste» qui n'abandonne pas des élèves en bord de chemin.
Comment faire goûter la grande littérature à des collégiens qui ânonnent
encore leur français? L'école juste est nécessairement
généreuse en temps, en moyens, auprès dès élèves en difficulté.
Cela s'appelle la « discrimination positive » et l'on ne tombe pas,
pour autant, dans on ne sait quelle «américanisation» du collège.
Ces propositions, pragmatiques, dépouillées de toute idéologie, répondent
à beaucoup d'attentes. Parions qu'elles ne resteront pas lettres
mortes. D'abord, parce que le président de la République s'est engagé
à renouveler « le pacte» qui lie le pays à son école. Le Premier
ministre également. Il a même fixé un calendrier à son ministre : un
projet de loi doit être fin prêt en décembre. Enfin, il ne s'agit pas
de révolutionner de fond en comble l'institution scolaire, mais bien de
la réformer. Ce qui exigera, de toute façon, doigté, intelligence et
ténacité.
Bernard LE SOLLEU, Ouest-France, 13 octobre 2004.
Pour le commentaire, voyez ici
- Difficulté de réformer le système scolaire : cela suscite toujours des résistances
- La commission Thélot s'attèle pourtant à cette tâche, en partant du constat que le système actuel reproduit les inégalités, et laisse un grand nombre d'élèves au bord de la route ; il faut un "socle commun de connaissances obligatoires".
- Objection de Jack Lang : ce "savoir minimal" pourrait bien s'avérer un "savoir maximal", et consacrer une baisse redoutable des ambitions pédagogiques.
- Réponse à l'objection : on ne peut enseigner la "grande littérature" à des élèves qui ne maîtrisent pas ce savoir minimal. Et il faut donner du temps et des moyens aux élèves les plus en difficulté, au nom de la discrimination positive.
- Le texte s'achève sur un vu : que cette réforme, qui n'est pas une révolution, entre effectivement dans les faits.
Présentation et date du texte. Sujet du texte Thèse |
Le texte que nous nous proposons d'étudier est un éditorial de
Bernard Le Solleu, paru dans le quotidien Ouest-France du 13 octobre 2004. En prise sur l'actualité, il parle du tout récent rapport Thélot qui propose de réformer l'école, et appelle de ses vux la réalisation des réformes proposées. |
Voici un texte donné en colle :
Je ne dis pas que dans tous les temps il n'ait été avantageux au chef d'être soldat, de réunir les forces et du corps et de l'âme, et de pouvoir non seulement affronter les dangers, soutenir les disgrâces, se posséder dans l'une et dans l'autre fortune; mais de pouvoir encore endurer constamment la faim, la soif; les fatigues, les veilles, l'intempérie des saisons, l'âpreté des climats, et de s'être rendu vigoureux et robuste, afin d'exécuter soi-même ce qu'on aurait à commander. Je ne dis pas que dans la plus grande rigueur de la discipline grecque et romaine, lors même que la tête d'un général remuait seule toute une armée, la supériorité dans la force du corps ne fût encore un très grand avantage. [...] Enfin je ne dis pas que parmi nous encore elle ne soit, dans celui qui commande, d'un grand exemple et d'un grand secours, pour inspirer au soldat le courage d'exécuter ou de souffrir. Mais dans tel temps cette qualité dut primer dans un capitaine ; dans tel autre, elle fut subordonnée à d'autres vertus. [...] L'arme à feu a presque tout réduit au nombre et à la discipline : parmi les soldats même, le meilleur n'est pas le plus fort, mais le plus hardi, le plus ferme, le plus docile, et le mieux exercé. À plus forte raison n'est-ce plus la force du bras, mais la vigueur de la tête et de l'âme, qui fait aujourd'hui le héros. Ce n'est plus un guerrier armé de pied en cap pour l'attaque et pour la défense, c'est un homme tranquille et froid, qui, dans l'action, tout occupé des mouvements qu'il observe et dirige, ne s'expose qu'autant que l'occasion le demande, mais qui alors s'oublie au milieu du danger, comme s'il y était inaccessible, et qui, parmi les morts et les mourants, semble se croire invulnérable, et se regarder comme un dieu qui présiderait aux combats. Voilà sans doute un genre de valeur et de vertu guerrière supérieur encore à celui des héros fabuleux et de nos paladins ; mais il est concentré dans l'âme, et la poésie et les romans demandent, comme la peinture, un caractère de vaillance extérieur et en action. "Athéniens, disait Charès, voyez les blessures que j'ai reçues lorsque j'étais votre général, voyez mon bouclier percé de coups de lance." Voilà le héros poétique. "Moi, Charès, lui répondit Timothée, quand j'assiégeais Samos, je me souviens qu'ayant vu tomber une flèche assez près de moi, j'en eus honte, et me reprochai de m'être exposé en jeune homme et sans nécessité." Voilà le héros de l'histoire. Il est écrit sur les canons de Chantilly: "C'est fait de la valeur". Oui, de la valeur romanesque : en effet, le premier coup de canon a été mortel à cette espèce d'héroïsme; et en même temps que la tactique, la discipline, et avec elles le caractère de la bravoure et de la valeur a changé ; le progrès des lumières a fait évanouir les fantômes de l'ignorance et de la superstition. Plus d'enchantements, plus de sortilèges, plus de châteaux dont les revenants se soient emparés : les démons et les morts ne se sont plus mêlés des guerres ni des querelles des vivants ; et l'imagination romanesque a perdu presque tous ses songes.
Essai sur les romans, in uvres complètes, X, Verdière, 1819, pp. 303-306.
Dans ce texte de 1799, dans la lignée
des philosophes, Marmontel s'interroge sur ce que sontvdevenues les
vertus des héros, depuis que la guerre a changé de nature.
Dans un premier temps, avec l'anaphore de "je ne dis pas que",
il semble faire unevconcession : la force reste une qualité éminente
de qui prétend commander une armée. Mais elle est devenue bien
secondaire depuis l'invention des armes à feu.
Aujourd'hui, dit-il, "c'est la vigueur de la tête et de l'âme qui
fait le héros" (citation à retenir !) : observer, diriger sans se
laisser gagner par la peur : c'est le sang-froid qui fait le héros !
L'héroïsme traditionnel, fondé sur des actions, n'existe donc plus
que dans les romans... Et la poésie. La raison l'emporte même dans le
domaine de l'héroïsme, et les coups d'éclat fabuleux, les monstres à
vaincre sont réduits à n'être plus que "les fantômes de la
superstition".
C'est donc ici un texte qui entre dans la lignée des critiques
philosophiques de la guerre et de l'héroïsme guerrier : Voltaire,
Diderot, Damilaville, Rousseau.
Voici un texte classique, de 1660, donné en colle :
Pascal : Discours sur la condition des grands - 1660 , « Les grandeurs d'établissement et les grandeurs naturelles »
Les trois Discours sur la condition des grands, écrits par Pascal à la fin de sa vie, étaient destinés, à un jeune homme de famille aristocratique. Ces discours visent à enseigner à la Noblesse la juste conscience de sa nature, de ses droits et de ses devoirs, de son rôle, en invitant à la modestie et à la charité.
Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs
d'établissement[1] et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent
de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer
certains états[2] et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce
genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en
celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce
qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement
: après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler.
Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendances de la
fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans des qualités réelles
et effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus
estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la
santé, la force.
Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ; mais
comme elles sont d'une nature différence, nous leur devons aussi différents
respects.
Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons des respects d'établissement,
c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins
accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la
justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité
réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux
rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des princes.
C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces
devoirs.
Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne
les devons qu'aux grandeurs naturelles ; et nous devons au contraire le
mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs
naturelles. Il n'est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je
vous estime ; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes
duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l'une et à l'autre
de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite
votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d'honnête homme.
Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore
justice ; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des
hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d'avoir pour
vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit.
Second Discours sur la condition des grands.
Répondez aux questions suivantes :
Vous avez répondu à toutes les questions ? Alors vérifiez-les au moyen du corrigé.
1. Grandeurs détablissement : grandeurs qui ont été établies par les hommes.
2. Etats : ici, conditions sociales.
Les deux premiers § donnent la définition des deux grandeurs : d'abord la grandeur d'établissement, relative au pays dans lequel on se trouve, arbitraire sans doute dans son origine, mais qui, une fois instituée, doit être respectée ; puis la grandeur naturelle, liée au caractère et aux vertus de la personne, et qui n'est donc nullement relative.
Un § de transition montre que nous devons des marques de respect à l'une comme à l'autre, mais qu'il ne faut pas les confondre.
Les derniers §,
plus développés, développent ces différences en donnant des
exemples ; aux grandeurs d'établissement des marques
extérieures de respect (gestes, formules de politesse) ; aux
grandeurs naturelles, l'estime intérieure, c'est-à-dire
morale. Un duc honnête homme aurait droit aux deux, mais un
"grand seigneur méchant homme" ne mériterait que les
marques extérieures, qui peuvent aller de pair avec le plus
profond mépris.