Extrait de l'œuvre
Un poète parle des poètes
Le poète d'origine syrienne Adonis évoque, dans un entretien avec Houria Abdelouaed, les poètes qu'il a rencontrés à son arrivée en France.
J'aurais aimé parler de Yves Bonnefoy, dont j'ai traduit en arabe la plupart de l'œuvre poétique, d'Hélène Cixous, d'Alain Jouffroy, de Basarab Nicolescu, de Henri Meschonnic, d'André Velter, de Dominique de Villepin et de beaucoup d'autres. Mais je me contenterai d'évoquer ceux qui ne sont plus. Je commencerai par Alain Bosquet. C'était, à mes yeux, un grand intellectuel, vraiment noble, ouvert et accueillant. Il était à Paris comme une demeure flottant en plein air afin d'accueillir les différents poèmes des quatre coins du monde. Et il m'a accueilli au sein de cette demeure. Il désirait connaître la poésie arabe et œuvrait pour la rencontre des cultures. Il aimait passionnément la poésie et militait avec beaucoup de force en faveur de la poésie en France, à tel point qu'il a convaincu "Le Monde" puis "Le Figaro littéraire" de publier chaque semaine un poème qu'il choisissait et présentait. C'était un homme de grande ouverture d'esprit. J'ai traduit, quant à moi, et publié dans la revue "Shi'r" quelques-uns de ses poèmes. Je peux nommer également Henri Michaux qui me donnait l'impression d'être un devin qui savait manier la science de la révolte et du questionnement, de la même façon qu'il cultivait l'art de l'écoute. Derrière une apparence simple et sereine, se cachait un grand joueur, au sens noble du terme, c'est-à-dire un créateur. Toutes les fois que son esprit aspirait au repos, son corps était tenté de poursuivre le jeu et vice-versa. Sa poésie était une lutte dans la profondeur des mots. Comme s'il s'éloignait à chaque fois qu'il était proche. Comme le ciel.
Adonis, avec Houria Abdelouaed, "Le Regard d'Orphée", Fayard, 2009, p. 58-59.