Extrait de l'œuvre
Les tourterelles et les corbeaux, conte canaque
Poindi, un chasseur canaque, raconte à son fils que la famine règnait chez les oiseaux ; Joli-Bec, une tourterelle, alla chercher auprès de la Reine-des-Anguilles un secret qui les sauverait : il s'agissait de trouver un oiseau qui aurait le bec assez fort pour casser la noix de bancoul et leur permettre d'en manger la pulpe. Mais les corbeaux avaient entendu son récit...
Ils partirent à la recherche d'une noix de bancoul.
Le corbeau aux bains de boue fut le premier à en trouver une, et, effectivement, il put fort bien la saisir dans son bec.
Son ami le pourchassa pour la lui arracher.
Ce jeu les amena sur la grosse branche du tamanou que tu vois.
Les tourterelles étaient blotties dans une touffe de liane, tout près.
Sur la grosse branche, ils s'amusèrent à lutter à qui aurait le fruit dans son bec... tant et si bien qu'ils le laissèrent échapper et qu'il vint se briser contre ce rocher plat, juste au-dessous d'eux.
Les deux amis, tout penauds d'avoir perdu leur jouet, regardaient en bas d'un air consterné.
Les tourterelles, effrayées de voir que leur secret était en la possession de ces grossiers personnages, avaient suivi la scène avec passion.
Quand la noix s'ouvrit, montrant sa riche pulpe blanche, elles se précipitèrent pour y goûter. C'était merveilleux.
Du haut de leur perchoir, les corbeaux ne trouvèrent point cela à leur gré. Mais ils arrivèrent trop tard. Tout était mangé.
Ils se répandirent en menaces et partirent chercher d'autres noix de bancoul.
Cette fois ils les brisèrent sans tarder et vinrent assez vite au sol pour y goûter.
Après quoi, ils chassèrent les tourterelles et décrétèrent que, par droit de conquête, le secret leur appartenait. La peine de mort serait le châtiment de l'impudent qui tenterait de leur dérober leur bien.
Ils avaient compté sans les lois de la nature.
Les tourterelles avaient été obligées de fuir, c'est vrai. Mais la plus vieille leur donna ce conseil :
« Laissez les corbeaux briser les noix pour nous. Ne vous inquiétez pas de leurs prétentions. Notre vol est beaucoup plus rapide que le leur. Cachez-vous près du lieu où ils opèrent et saisissez avant eux le fruit qui est nôtre. »
Ainsi firent-elles. Et depuis ces jours lointains, la chose continue. Les corbeaux, pris à leur propre piège, sont obligés, en se nourrissant eux-mêmes, de nourrir les oiseaux qu'ils voulurent spolier. Ainsi l'a voulu la nature qui avait oublié de donner à la tourterelle un bec assez gros pour saisir la noix de bancoul.
Jean Mariotti, "Les Contes de Poindi", Stock, 1941, réédition 1979 p. 111-113.