Extrait de l'œuvre
À Biarritz
Le narrateur, le jésuite Michel Larochelle, poursuivi après des aventures peu recommandables en Éthiopie, s'est réfugié à l'Hôtel du Palais à Biarritz. Il s'agit ici de la première page du roman.
Par la fenêtre de ma chambre, qui donne sur la mer, je vois, jusqu'à l'autre extrémité de la baie, des surfeurs courageux qui poussent leurs planches vers l'océan. Cette image me conforte, je ne suis pas seul sur terre à jouer les Sisyphe de service. J'irai au bout de ce testament, dussé-je y perdre mon souffle. Adieu les bonnes âmes !
Pour écrire et protéger mes fesses, il a fallu que je me retire du monde. N'ayant aucun goût particulier pour les refuges de montagne, les grottes miraculeuses, les monastères dominicains, j'ai choisi l'hôtel où je suis anonyme à loisir et ne risque de rencontrer quelque comparse. C'est un luxe que je peux me payer avant de peut-être me retrouver à la morgue.
Je suis arrivé ici avec mon sac à dos, la barbe longue et une carte de crédit. Dès l'entrée, l'hôtel du Palais, à Biarritz, vous offre la paix, un hall parfumé au jasmin, des couleurs tendres, l'espace. La petite réceptionniste, derrière son comptoir de noyer, est particulièrement avenante et magnifiquement maquillée ; le portier, à gauche, près des ascenseurs et du grand escalier, toujours déférent comme un banquier suisse. Confort moderne dans un décor du XIXe. En fait, il s'agit de l'ancien palais de Napoléon III et de l'impératrice Eugénie, transformé en casino, puis en palace pour les têtes couronnées, incendié, reconstruit, occupé par les Allemands pendant la guerre, qui ne s'y sont certainement pas autant amusés que les stars de cinéma après la défaite du Führer. L'hôtel est un vaste édifice en briques peintes, dans le plus pur style "château anglais". On raconte que le duc de Windsor et la duchesse s'y sentaient chez eux. Moi, je me sens chez moi partout. Heureux en cellule, à l'aise dans le monde. Je suis un animal domestique à peine apprivoisé, un chat de gouttière qui connaît les bonnes manières.
Jacques Godbout, "Opération Rimbaud", éditions du Seuil, 1999, p. 9-10.