Texte d'étude et traduction
Ver erat...
Arthur Rimbaud, élève au collège de Charleville, n'avait que 14 ans lorsqu'il composa cette ode latine, le 6 novembre 1868.
Ver erat, et morbo Romae languebat inerti
Orbilius : dira tacuerunt tela magistri,
Plagarum sonus non iam ueniebat ad aures
Nec ferula assiduo cruciabat membra dolore.
Arripui tempus : ridentia rura petiui
Immemor : a studio moti1curisque soluti1
Blanda fatigatam recrearunt2 gaudia mentem.
Nescio qua laeta captum dulcedine pectus
Taedia iam ludi, iam tristia uerba magistri
Oblitum, campos late spectare iuuabat3
Laetaque uernantis miracula cernere terrae.
Nec ruris tantum puer otia uana petebam :
Maiores paruo capiebam pectore sensus :
Nescio lymphatis4 quae mens diuinior alas
Sensibus addebat : tacito spectacula uisu5
Attonitus contemplabar : pectusque calentis
Insinuabat amor ruris : ceu ferreus olim
Annulus, arcana quem ui Magnesia cautes6
Attrahit, et caecis tacitum sibi colligat hamis.
Écoutez attentivement la lecture du texte :
Éclaircissements linguistiques
moti et soluti sont des génitifs singuliers, renvoyant au narrateur, et compléments du nom "mentem". Mot à mot : de douces joies (blanda gaudia) ranimèrent (recrearunt) l'esprit fatigué (fatigatam mentem) de [moi] éloigné de l'étude (a studio moti) et délivré des soucis (curis... soluti).
recrearunt = recreauerunt.
Juuabat : "il me plaisait" ; emploi impersonnel, avec un "mihi" sous-entendu.
lymphatus, -a, -um : participe parfait passif de lympho, -as, -are, -aui, -atum, "rendre fou". Ce participe s'accorde au nom "sensibus", dans le vers suivant.
tacito uisu : mot à mot "avec une vision siiencieuse" : traduire par "en silence".
Magnesia cautes : "la pierre de Magnésie", c'est-à-dire l'aimant.
Traduction
C'était le printemps, et Orbilius languissait à Rome, immobilisé par une maladie : Les traits cruels de mon maître se turent, le bruit des coups ne venait plus à mes oreilles et la férule ne torturait plus mes membres d'une douleur continuelle.
Je saisis l'occasion. Je gagnai les campagnes riantes, abandonnant tout souvenir. Éloigné de l'étude et délivré des soucis, de douces joies ranimèrent mon esprit épuisé. Prisonnier de je ne sais quelle joyeuse douceur, oublieux des ennuis de l'école, des sinistres paroles du maître, il me plaisait de regarder les vastes champs, et d'observer les joyeux miracles de la terre au printemps. Enfant que j'étais, je ne recherchais pas seulement les vaines flâneries de la campagne ; je recevais de plus grands sentiments dans mon petit cœur ! Je ne sais quelle inspiration plus divine donnait des ailes à mes sens égarés. Frappé de stupeur, je contemplais ces spectacles en silence. L'amour d'une campagne brûlante s'insinuait dans mon cœur : comme jadis l'anneau de fer qu'attire, par sa force secrète, la pierre de Magnésie et qu'en silence elle s'attache par d'invisibles crochets.