Modèles et statuts des modèles dans l'enseignement et la formation des
enseignants
A. Marchive et
B. Sarrazy - © 2008-2009 DCAM
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Université V.
Segalen Bordeaux 2
Rosenthal R., Jacobson E. (1971). – Pygmalion à l’école. L’attente du maître et le développement intellectuel des élèves. – Paris : Casterman.
On peut résumer la recherche princeps de Rosenthal et Jacobson, concernant les effets d'attente sur les résultats des élèves, de la façon suivante : l'élève tirera d'autant plus de profit de l'école que son maître a une bonne opinion de lui, plutôt qu’une opinion juste de lui. Bien que contestée dans sa méthodologie et donc dans ses résultats, cette expérience n'en rend pas moins compte d'un phénomène bien réel, connu sous le nom d' « effet Pygmalion ». Elle a été publiée en France sous le titre : Pygmalion à l'école. L'attente du maître et le développement de l'élève (Casterman, 1971). Rosenthal et Jacobson commencent par évoquer de nombreux cas de « réalisation automatique des prophéties » dans la vie quotidienne :
- La faillite de la Last National Bank en 1932, racontée par Merton : les clients croient que leur banque est en faillite et se précipitent tous pour retirer leurs économies. Ils provoquent ainsi la réalisation de leur prédiction, pourtant fausse à l'origine ;
- Allport (1950) applique la même idée à l'analyse de la montée des tensions internationales et de la guerre : tout se passe comme si les nations qui s'attendent à la guerre, la provoquent effectivement : en communiquant cette attente, l'ennemi réagit en s'y préparant, ce qui confirme et fortifie l'attente de la première nation et s'ensuit un système d'escalade qui conduit à la guerre ;
- D'autres observations semblables sont faites sur des joueurs de bowling (on attend d'eux qu'ils jouent bien, ils jouent bien et inversement), sur les comportements d'élèves timides (Guthrie), sur les l'opinion des contremaîtres sur les employées dans une entreprise (Bavelas montre que les contremaîtres ont des opinions plus favorables sur les femmes dont on leur a fait croire qu'elles avaient obtenu des résultats très élevés à des test d'intelligence et de dextérité manuelle) ;
- Les effets placebos en médecine, les guérisons « miraculeuses » sous l'effet de l'hypnose ou de psychothérapies ; la réussite dans la passation de test ou dans des tâches intellectuelles ou même les effets sur l'apprentissage des déplacements dans des labyrinthes chez les rats : 12 expérimentateurs doivent apprendre en 5 jours, à raison de 10 entraînements par jour, à des rats à parcourir un labyrinthe (choisir le trajet le plus sombre dans un labyrinthe en forme de T, dont les bras du T sont interchangeables) ; les animaux signalés comme les plus doués le devinrent effectivement : meilleurs dès le début ils progressèrent régulièrement durant les 5 jours d'expérience alors que les autres progressèrent plus tardivement puis régressèrent)…
Rosenthal et Jacobson présentent ensuite l'expérience effectuée dans une école à laquelle ils donnent le nom de Oak School. C'est une école de 18 classes dont 1/6 sont des élèves d'origine mexicaine. Sans être misérables, les enfants sont issus pour la plupart d'un milieu populaire. Dans cette école les élèves sont regroupés par niveaux homogènes, en particulier en fonction de leurs aptitudes en lecture. Les maîtresses (sur 20 enseignants il n'y a que 2 maîtres) ont un âge moyen de 35 ans et sont très impliqués dans leur métier. Au printemps 64 les expérimentateurs firent passer un test (test TOGA de Flanagan) qui permet le calcul d'un QI verbal, d'un QI raisonnement et d'un QI total. Le test fut présenté comme devant pronostiquer l'épanouissement ou le démarrage scolaire des élèves. A la rentrée scolaire suivante, fort des résultats de ce test, les expérimentateurs donnèrent à chacun des 18 enseignants la liste nominative des enfants qui dans sa classe devaient « démarrer ». En réalité les élèves « expérimentaux » (1 à 9 par classe) ont été tirés au sort dans une proportion de 20% du total des élèves de l'école, le reste constituant le groupe de contrôle. Entre les deux groupes d'enfants, il n'y a donc de différence que dans l'esprit du maître. On le voit, c'est une situation expérimentale de type tout à fait classique. Trois post-tests sont effectués : le premier après un semestre de classe, c'est-à-dire en milieu d'année scolaire, le second en fin d'année scolaire et le troisième en fin d'année scolaire suivante.
Les résultats : au niveau du développement intellectuel, les enfants du groupe témoin gagnèrent plus de 8 points de QI tandis que ceux du groupe expérimental en gagnèrent plus de 12. Toutefois, c'est surtout dans les plus petites classes que cet effet se manifesta, la différence étant particulièrement nette au CP (+12 pour le groupe témoin et +27 pour le groupe expérimental) et au CE1 (+7 et + 1 6,5). Dans les autres classes, la différence est nulle ou non significative. Rosenthal et Jacobson en déduisent que l'attente d'une personne à l'égard du comportement d'une autre peut se transformer en une prophétie à réalisation automatique, au moins pour les petites classes. Ils avancent à cet égard plusieurs explications :
- les petits seraient plus malléables, moins stables, plus sujets aux changements dans cette période de leur vie ;
- les petits ont une réputation moins établie et les maîtres peuvent donc croire plus facilement les affirmations de l'expérimentateur ;
- les petits sont plus sensibles aux marques particulières que leur communiquent les maîtres ;
Ils remarquent aussi à travers une étude de quelques cas que les élèves qui ont le plus bénéficié des préjugés favorables de leur maître sont des enfants dont les parents s'intéressent particulièrement à leurs progrès scolaires et des enfants ayant un physique particulièrement attrayant.
Les résultats montrent par ailleurs que chez les plus jeunes élèves - ceux du CP - les résultats favorables se poursuivent au-delà d'une année. Les résultats sont également étudiés en fonction du sexe, de l'appartenance ou non au groupe ethnique minoritaire, sans que les résultats soient très probants. Selon Rosenthal et Jacobson, les résultats obtenus valident l'hypothèse que les préjugés d'une personne (en l'occurrence le maître) sur les comportements d'une autre personne (en l'occurrence le progrès intellectuels des élèves) pouvaient devenir des prophéties à caractère automatiques.
De nombreux travaux montrent qu'en fait cette recherche est contestable dans sa méthodologie et que les résultats ne sont pas forcément valides. Sont contestés ainsi :
- le nombre très faible d'élèves expérimentaux concernés (17 au CP et CE1) ;
- l'inadaptation du test TOGA à des jeunes élèves ;
- les conditions de présentation de l'expérience aux maîtres ;
- l'incapacité des maîtres après l'expérience à identifier les élèves qui leur avaient été signalés, …
Il faudrait s'interroger aussi sur les raisons qui font que des enseignants font à ce point confiance aux chercheurs quant aux résultats auxquels il faut s'attendre de la part de certains élèves (résultats supposés avoir été pronostiqués par un test scientifique). Rappelons-nous à cet égard l'expérience de Milgram (1963) concernant la soumission à l'autorité. Il faudrait aussi invoquer les travaux sur la cohérence cognitive : la tendance à organiser ses perceptions de façon à ce que tous les éléments s'imbriquent selon une structure cohérente et logique. Les travaux sur la consonance (dissonance) cognitive montrent que l'on éprouve plus de satisfaction lorsque deux ou plusieurs cognitions sont cohérentes entre elles (Poitou, 1974). Il faudrait rapprocher ces deux notions de la tendance à rechercher les informations qui confirment ce que l'on croit (effet de halo qui conduit à adopter un jugement sur la base d'un trait particulier ; effet de primauté, quand le premier jugement tend à déterminer le jugement global), dans le sentiment de contrôle interne ou externe des événements (Dubois, 1987) ou dans les normes sociales (Dubois, 1994).
Gilly (1980) fait aussi remarquer que la réussite de cette thèse peut être due à la période où elle a été diffusée, dans la mesure où elle venait étayer l'idée d'une pédagogie reproductrice dénoncée à la même époque, les attentes des maîtres venant renforcer les inégalités sociales (cf. l’emblématique ouvrage de Bourdieu et Passeron, Les héritiers).
Les multiples expérimentations consécutives à l'expérience princeps de Rosenthal et Jacobson, qu'elles aient été effectuées en laboratoire ou en situation naturelle, n'ont pas totalement confirmé les résultats des deux chercheurs américains. Mais comme le souligne Gilly (id.) l'essentiel est ailleurs, il est de savoir quelles conditions et selon quels mécanismes lesdits effets peuvent ou non être provoqués et avoir ou non une influence sur les performances intellectuelles et/ou scolaires des élèves. Suffit-il en particulier de modifier la représentation que j'ai d'un élève pour modifier l'attente que j'ai à son égard ? Car ce que j'attends d'autrui ne dépend pas seulement de la représentation que j'en ai actuellement mais aussi et dans certains cas surtout du projet que je nourris à son égard. Autrement dit le projet que je formule en tant que maître au sujet d'un élève ne dépend pas que de l'idée que j'ai de lui actuellement mais aussi de l'idée de ce que je veux qu'il devienne. A cet égard, il faut prendre en compte les conceptions éducatives générales de l'enseignant, l'idée qu'il se fait de son rôle professionnel et ne pas s'en tenir à des représentations qui seraient figées.
Dubois N. (1987). – La norme psychologie du contrôle. – Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 200 p.
Dubois N. (1994). – La norme d’internalité et le libéralisme. – Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 223 p.
Gilly M. (1980). - Maître-élève : rôles institutionnels et représentations. - Paris : PUF, 300 p.
Milgram S. (1974). Soumission à l’autorité. Paris : Calmann-Lévy, 268 p. (Liberté de l’esprit).
Poitou J.- P. (1974). - La dissonance cognitive. - Paris : Armand Colin, 125 p.