Extrait de l'œuvre
Mais pourquoi brousse impénétrable encore cacher le vif zéro de ma mendicité et par un souci de noblesse apprise ne pas entonner l'horrible bond de ma laideur pahouine ?
voum rooh oh
voum rooh oh
à charmer les serpents à conjurer les morts
voum rooh oh
à contraindre la pluie à contrarier les raz de marée
voum rooh oh
à empêcher que ne tourne l'ombre
voum rooh oh
que mes cieux à moi s'ouvrent
— moi sur une route, enfant, mâchant une racine de canne à sucre
— traîné homme sur une route sanglante une corde au cou
— debout au milieu d'un cirque immense, sur mon front noir une couronne de daturas
voum rooh
s'envoler
plus haut que le frisson plus haut que les sorcières vers d'autres étoiles exaltation féroce de forêts et de montagnes déracinées à l'heure où nul n'y pense les îles liées pour mille ans !
voum rooh oh
pour que revienne le temps de promission
et l'oiseau qui savait mon nom
et la femme qui avait mille noms
et la fontaine de soleil et de pleurs
et ses cheveux d'alevin
et ses pas mes climats
et ses yeux mes saisons
et les jours sans nuisance
et les nuits sans offense
et les étoiles de confidence
et le vent de connivence
Mais qui tourne ma voix ? qui écorche ma voix ? Me fourrant dans la gorge mille crocs de bambou. Mille pieux d'oursin. C'est toi sale bout de monde. Sale bout de petit matin. C'est toi sale haine. C'est toi poids de l'insulte et cent ans de coups de fouet. C'est toi cent ans de ma patience, cent ans de mes soins juste à ne pas mourir.
rooh oh
Aimé Césaire, "Cahier d'un retour au pays natal", Présence africaine, 1983, p. 29-31.