Analyser les passés composés

Voici l'incipit de "L'Étranger" d'Albert Camus.

Albert Camus en 1957
Albert Camus en 1957Informations[1]

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.

L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit : « Ce n'est pas de ma faute. » Il n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.

J'ai pris l'autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J'ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m'a dit : « On n'a qu'une mère. » Quand je suis parti, ils m'ont accompagné à la porte. J'étais un peu étourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.

J'ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c'est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J'ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j'étais tassé contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demandé si je venais de loin. J'ai dit « oui » pour n'avoir plus à parler.

Albert Camus, "L'Étranger", Gallimard, 1942.

Question

Dans le texte ci-dessus, relevez et classez les verbes au passé composé, d'abord selon un critère morphologique, puis sémantique. Le texte vous semble-t-il appartenir à un registre écrit ou oral ? Justifiez votre réponse.

Solution

Analyse morphologique

Auxiliaire avoir

Auxiliaire être

J'ai reçu

J'ai demandé

Je lui ai même dit

Il n'a pas répondu

J'ai pensé

J'ai pris l'autobus

J'ai mangé

Céleste m'a dit

il a fallu

Il a perdu son oncle

J'ai couru

J'ai dormi

qui m'a souri

qui m'a demandé

J'ai dit oui

maman est morte

je suis parti

je me suis assoupi

quand je me suis réveillé

L'ensemble des verbes au passé composé, ici, sont à la voix active ; deux sont pronominaux ("je me suis assoupi", "je me suis réveillé").

Analyse sémantique

On peut distinguer plusieurs types d'emplois du passé composé dans ce texte.

  1. Des verbes indiquant simplement un fait, une action ponctuelle : ici le passé composé remplace un passé simple.

    "J'ai demandé, Je lui ai même dit, Il n'a pas répondu, Céleste m'a dit, il a fallu, J'ai couru, J'ai dormi, qui m'a souri, qui m'a demandé, J'ai dit oui".

    Dans tous ces cas, nous avons affaire à des actions, des paroles dans le passé, sans mention d'une durée ni d'une antériorité.

  2. Des verbes indiquant un passé :

    "quand je me suis réveillé" ; "Il a perdu son oncle il y a quelques mois" (le premier est dans une subordonnée temporelle, le second est accompagné d'un complément circonstanciel de temps).

  3. Des verbes marquant une antériorité, un fait passé qui a des conséquences sur le présent :

    "maman est morte".

Le registre de langue

Il s'agit ici du monologue intérieur d'un homme simple ; la forte présence des verbes exprimant simplement une action passée montre à l'évidence que nous avons ici une langue orale.