Complément sur le genre des noms
Complément : Un apprentissage difficile
Pour compléter le propos, voici un texte plein d'humour de l'écrivaine Chahdortt Djavann, d'origine iranienne, qui raconte à la troisième personne son apprentissage du français :
Outre les problèmes de tout genre, il y avait Ie problème du genre pour Roxane. Que les objets et les mots aient un sexe, elle ne l'aurait jamais cru. Le persan, fârsi, est une langue sans sexe, androgyne si l'on veut. On ne dit pas « le fârsi »ou « la fârsi », on dit juste « fârsi ». Pas d'histoire avec la masculinité ou la féminité dans cette langue ; il y en a déjà assez avec les êtres humains, ça suffit largement. Grandie sous le régime des mollahs, Roxane en avait gros sur le cœur avec les problèmes de masculinité et de féminité ; ce n'était pas le moment d'en rajouter avec le sexe des mots. En outre, il était mille fois plus naturel, pour elle, de dire « chaise » que de dire « la chaise ». Elle fit donc table rase des articles.
« J'étais dans rue. Matin, il faisait froid. Magasin était fermé. J'ai mangé pomme... »
Les articles étaient d'infimes détails.
« Les articles, je les apprendrai plus tard. L'important, c'est les mots ; de toute façon, c'est soit la, soit le, ce n'est pas difficile. »
Elle était loin d'imaginer dans quel pétrin elle s'enfonçait.
L'absence d'article avait créé une infirmité originelle dans le français de Roxane. Le conflit entre le et la ne prit jamais fin. La tyrannie des articles ne lui laisserait aucune liberté. Elle aurait pu créer SOS articles, mais qui serait venu à son secours ?
À peine terminait-elle une phrase qu'elle lisait dans les yeux de son interlocuteur qu'elle s'était trompée d'article. Un mélange de honte et d'amertume l'envahissait. Aussitôt la faute commise, Mme l'agent de la langue apparaissait , matraque à la main et regard lourd de reproche. Roxane, déstabilisée, mémoire vacillante, ne savait comment continuer, elle enchaînait les fautes. Elle se décernait une longue liste d'insultes : idiote, imbécile, stupide, bête, demeurée, inculte, écervelée...
La langue lui échappait, elle s'en sentait exclue. Cette langue impitoyable ne lui pardonnait rien.
Chahdortt Djavann, « De l'apprentissage du français à l'écriture », in Pour une littérature-monde, Gallimard, Paris, 2007, p.289-290.