Repérer les adjectifs qualificatifs
Nous recopions ici le premier paragraphe du texte de Rachid Boudjedra.
Constantine : 26 juin 1995. Crépi ocre des maisons. Falaises argileuses suplombant les gorges profondes du Rhumel. Fumets de têtes d'agneau grillées en plein air. Odeurs de musc et d'ail. Relents d'urine, aussi, à cause des ânes nombreux dans les ruelles trop étroites de la Casbah et qu'on utilise pour le ramassage des ordures. Grondement des eaux jaunes et boueuses du torrent qui hurle dans ces gouffres vertigineux, en plein centre de la ville, au-dessous d'un pont emblématique, suspendu et métallique. Aubaine pour les suicidaires intraitables et farouches et les vents coulis et calamiteux qui le font se balancer dans le vide. Vacarme dans le soleil. Un chat hume son ombre et se déhanche lascivement à l'intérieur d'un espace rétréci par le flamboiement de la terrasse familiale d'où Rac domine toute la ville juchée à 958 mètres d'altitude, avec la médina entortillée, le défilé du Rhumel et l'architecture, comme jetée dans le vide, de l'université qui fracasse l'espace urbain : un cône gigantesque coincé contre une énorme coupole dont la rondeur écrase un carré en verre rigide de vingt étages, œuvre d'un architecte brésilien et surdoué.
Question
Dans le texte ci-dessus, relevez l'ensemble des adjectifs qualificatifs, et notez pour chacun à quel nom il se rapporte. Vous indiquerez le genre et le nombre du groupe ainsi formé.
Indiquez pour chacun s'il est susceptible de recevoir ou non des degrés.
Solution
Relevé des adjectifs qualificatifs
ocre : se rapporte à "crépi", masculin singulier ;
argileuses : se rapporte à "falaises", féminin pluriel ;
profondes : se rapporte à "gorges", féminin pluriel ;
nombreux : se rapporte à "ânes", masculin pluriel ;
étroites : se rapporte à "ruelles", féminin pluriel ;
jaunes : se rapporte à "eaux", féminin pluriel ;
boueuses : se rapporte à "eaux", féminin pluriel ;
vertigineux : se rapporte à "gouffres", masculin pluriel ;
emblématique : se rapporte à "pont", masculin singulier ;
suspendu : se rapporte à "pont", masculin singulier ;
métallique : se rapporte à "pont", masculin singulier ;
intraitables : se rapporte à "suicidaires", masculin pluriel ;
farouches : se rapporte à "suicidaires", masculin pluriel ;
coulis : se rapporte à "vents", masculin pluriel ;
calamiteux : se rapporte à "vents", masculin pluriel ;
familiale : se rapporte à "terrasse", féminin singulier ;
entortillée : se rapporte à "médina", féminin singulier ;
gigantesque : se rapporte à "cône", masculin singulier ;
énorme : se rapporte à "coupole", féminin singulier ;
rigide : se rapporte à "verre", masculin singulier ;
brésilien : se rapporte à "architecte", masculin singulier ;
surdoué : se rapporte à "architecte", masculin singulier.
Adjectifs gradables et non gradables
adjectifs gradables | adjectifs non gradables |
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Les adjectifs gradables apportent au nom une qualité, une caractéristique qui peut être plus ou moins intense, plus ou moins accentuée.
On peut avoir un doute sur l'adjectif "surdoué", qui est déjà une forme de superlatif.
Les adjectifs non-gradables appartiennent à plusieurs catégories :
adjectifs de couleur ou de matière (ocre, jaunes, métallique) ;
adjectifs dits "relationnels", remplaçant un complément de nom (la terrasse familiale = la terrasse de la famille), ces adjectifs, toujours épithètes, ne sont pas associés à un nom de qualité (la familialité n'existe pas !) ; on peut associer à ce groupe les adjectifs de nationalité : un architecte brésilien ;
adjectifs formant avec le nom une locution figée : un pont suspendu, les vents coulis.
Remarque : Le goût de R. Boudjedra pour le zeugma...
Normalement, on ne peut coordonner deux adjectifs appartenant à des catégories différentes ; or ici, on remarquera que R. Boudjedra pratique volontiers le zeugma :
« un pont emblématique, suspendu et métallique »
: l'auteur s'amuse à lier un adjectif formant avec le nom une expression (un pont suspendu), un adjectif de matière (métallique) et un adjectif de qualité (emblématique) ; on aurait dû dire, en respectant la syntaxe classique : "un emblématique pont suspendu métallique".« les vents coulis et calamiteux »
: même remarque ; on attendrait "les calamiteux vents coulis".« un architecte brésilien et surdoué »
: R. Boudjedra s'amuse à mettre sur le même plan la nationalité et un jugement de valeur ; on aurait pu écrire, plus classiquement, "un architecte brésilien surdoué".
Ces zeugmas, outre qu'ils témoignent d'une forme d'humour, de jeu avec la langue, permettent de redonner à l'adjectif sa pleine valeur sémantique : l'expression figée s'en trouve réactualisée.