Reconnaître les formes en -ant
La voix d'un père
Dans le texte ci-dessous, Georges, narrateur de "La Route des Flandres", évoque une conversation avec son père, avant son départ pour le front.
... La voix de son père, empreinte de cette tristesse, de cet intraitable et vacillant acharnement à se convaincre elle-même sinon de l'utilité ou de la véracité de ce qu'elle disait, du moins de l'utilité de croire à l'utilité de le dire, s'obstinant pour lui tout seul – comme un enfant siffle en traversant un bois dans le noir avait-il dit –, continuant à présent à lui parvenir, non plus à travers la pénombre du kiosque dans la stagnante chaleur d'août, de l'été pourrissant où quelque chose finissait définitivement de se corrompre, puant déjà, se gonflant comme un cadavre empli de vers et crevant à la fin, ne laissant plus subsister qu'un insignifiant résidu, l'amas de journaux froissés où depuis longtemps on ne distinguait plus rien (même pas les lettres, des signes reconnaissables, même plus les gros titres à sensation : à peine une tache, une ombre un peu plus grise sur la grisaille du papier), mais (la voix, les paroles) s'élevant maintenant dans les ténèbres froides où, invisible, s'étirait interminablement la longue théorie des chevaux en marche depuis toujours semblait-il : comme si son père n'avait jamais cessé de parler [...]
Claude Simon, "La Route des Flandres", Minuit, 1960, coll. "Minuit double", p. 40-41.
Question
Dans le texte ci-dessus, un certain nombre de formes en -ant, dérivées de verbes, ont été mises en gras. Relevez-les et classez-les en distinguant les adjectifs dérivés de verbes, les participes à valeur adjectivale, les participes à valeur verbale, et, le cas échéant, les gérondifs.
Solution
Les adjectifs dérivés de participes présents :
"vacillant" : coordonné à l'adjectif "intraitable" ; épithète du nom "acharnement"
"stagnante" : épithète de "chaleur d'août"
"pourrissant" : épithète de "l'été"
"insignifiant" : épithète de "résidu"
Si "vacillant" et "pourrissant" gardent encore leur origine verbale (verbes "vaciller" et "pourrir"), "stagnante" et "insignifiant" sont devenus de purs adjectifs.
Les participes à valeur et fonction adjectivales :
"s'obstinant" : apposé non, comme on pourrait le croire, à "la voix", mais à "son père", comme le montre le complément "pour lui tout seul"
"continuant" : le flou s'installe ; en effet, le participe est apposé soit à "la voix", soit à "son père" (mais faut-il trancher ? pour Georges, son père n'est justement plus rien d'autre que le souvenir de cette voix obstinée, de cette absurde logorrhée...)
"puant", "se gonflant comme un cadavre", "ne laissant plus subsister", "crevant" : apposé au sujet neutre "quelque chose" : ce qui, avant-guerre avait semblé si important, et qui s'incarne désormais dans ces restes de journaux quasi effacés...
"s'élevant" : par une nouvelle rupture, ce participe renvoie à nouveau à "la voix" ; mais comme le sujet est désormais très éloigné, Simon le rappelle dans une parenthèse ("la voix, les paroles").
Par leur fonction, ces participes ont une valeur adjectivale ; mais en même temps, ils gardent une valeur verbale, située dans le temps ("continuant à présent", "puant déjà", "crevant à la fin", "s'élevant maintenant"), pouvant recevoir une négation ("ne laissant plus")...
"En traversant" : participe ou gérondif ?
« comme un enfant siffle en traversant un bois dans le noir »
: il n'y a aucun lien de causalité entre le fait de siffler et celui de traverser un bois ; en revanche il y a un rapport temporel de simultanéité ; il s'agit donc bien d'un participe présent.