Reconnaître les différents degrés de l'hypothèse

Nous avons recopié ici le texte de Michel Layaz.

Grâce à cette tante nomade, j'expérimentais le voyage immobile. Mais l'essentiel se trouvait ailleurs. Ces textes écrits en langues étrangères m'enchantaient : leur graphie, leur musicalité, tous leurs sens possibles que je me plaisais à deviner. Au contact de ces sons venus de partout, mon oreille s'affinait. Et si je calquais sur les mots des significations hasardeuses, parfois, à ma surprise, je ne touchais pas si loin du but. Cette part d'inconnu présente dans les mots de tante Victoria les rendait plus attirants encore, exempts de toute souillure, libres des déchiffrements à venir. Peut-être devinais-je déjà que si un jour je voulais écrire, il me faudrait me montrer capable d'inventer un idiome au sein de ma langue maternelle pour forcer le lecteur à cette médiation obligée qui, si elle l'autorise à voler le texte et à l'emporter où bon lui semble, nécessite la patience de la transcription.

Et puis tante Victoria est morte.

J'avais dix-huit ans.

J'ai alors un peu étudié, pas mal travaillé, entrepris quelques voyages, déréglé mes sens, poli ma lucidité, rencontré des révoltés convenus, des nantis excentriques, des salauds et des braves, des femmes aimantes et des roublardes, j'ai gardé quelques amis bien que l'amitié ne vaille pas grand-chose, j'ai aimé, perdu, détesté, j'ai comme chaque homme eu ma dose de perceptions, mon lot d'expériences. Jusqu'à ce que le besoin d'écrire cogne à ma tête. M'oblige à réagir. Mon premier livre s'est appelé "Quartier Terre". D'autres ont suivi. J'habite maintenant le monde des livres à écrire, ce qui est d'abord une chance, une force, car cette bastide est imprenable et peut vous donner, aux moments de tristesse et de désespoir, un sentiment d'invulnérabilité. Si denses soient les ténèbres de son espace, essayez d'arrêter un homme qui se promène avec son univers à la boutonnière !

Question

Repérez les différents degrés de l'hypothèse dans le texte ci-dessus.

Indice

Les systèmes conditionnels ont été écrits en bleu.

Solution

  1. « si je calquais sur les mots des significations hasardeuses, parfois, à ma surprise, je ne touchais pas si loin du but » : les deux propositions, protase et apodose, sont à l'imparfait de l'indicatif : "calquais", "touchais" ; il ne s'agit donc pas d'une "réelle" hypothétique, mais d'une répétition dans le passé. On pourrait en effet remplacer le subordonnant "si" par "quand". On pourrait également trouver dans cette hypothétique une nuance concessive : "même si".

  2. « si un jour je voulais écrire, il me faudrait me montrer capable d'inventer un idiome au sein de ma langue maternelle » : le système semble à première vue très semblable au précédent, mais l'apodose est au conditionnel présent : "il faudrait". En outre, le complément de temps "un jour" situe la protase dans l'avenir : il s'agit donc ici d'un potentiel : la condition est considérée comme réalisable.

  3. « qui, si elle l'autorise à voler le texte et à l'emporter où bon lui semble, nécessite la patience de la transcription » : Ici, le système conditionnel est au présent de l'indicatif. Comme dans l'exemple 1, il s'agit d'une "condition supposée remplie", confinant à la répétition, cette fois dans le présent. On y retrouve, de même, une nuance concessive.