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Marc Henri Piault Leçon 8 : Vers un ethnocinéma
Aix-Marseille Université

Un ethnocinéma dialogique

 

La production d’images met un regard à l’épreuve d'autres regards et l’écoute à d'autres écoutes. Cette confrontation conduit au discours critique de l’intersubjectivité. Les expériences menées permettent une réappréciation des rapports entretenus entre sociétés différentes et contribuent à cette décentration de la visée de l’autre dont l’anthropologie contemporaine tente de se faire l’instrument.

On s’oriente vers une réflexion critique collective à propos du réel, donnant lieu notamment à des reconstitutions (Jean-Pierre Olivier de Sardan au Niger : La bouche déliée, mariage wogo). Il s’agit de rendre compte de la vie quotidienne aujourd’hui : les relations des hommes et des femmes, les interactions du social et du politique, du religieux et de l’économique. Guy Le Moal (Les Masques de feuilles ;  Le grand masque Molo) est conduit par ses « acteurs » à s’interroger sur les modalités contemporaines de la croyance en Afrique.

Peu à peu le regard est entraîné, à travers la caméra entre les mains du réalisateur, à dépasser un simple enregistrement, il y a un mouvement vers, une adhésion dynamique au développement d’une situation. La situation anthropologique est un sas d’interconnaissance. Faire un film devient une conversation construite aussi bien d’incompréhension que de reconnaissance. Notamment lorsqu’il s’agit d’interpréter la relation des êtres humains avec leur environnement visible ou invisible (Nicole Echard : Noces de Feu).Au-delà des quotidiens vécus et ressentis, les situations locales se relient de plus en plus aux transformations économiques et politiques d’environnements plus larges et il y a une utilisation de plus en plus fréquente de techniques légères incluant la vidéo. On peut alors reconsidérer ce que pourrait être un ethnocinéma dialogique questionnant les transformations en cours sur les lieux des anciennes recherches (Patrick Menget, Yves Billon, Jean-François Schiano : Chronique du temps sec ; Bernard Saladin d’Anglure, Michel Treguer : Iglolik, notre terre ; Luis Figueroa : Les fils de Tupac Amaru). Le vécu exprimé et les expériences individuelles apparaissent, s’expriment (Jean-Louis Le Tacon : Cochon qui s’en dédit), interrogent le réalisateur mis en cause à son tour (Marc Piault : Akazama ; Eliane de Latour : Comptes et Contes de la Cour ; Les Temps du Pouvoir, Si bleu si calme).

De l'anthropologie classique à l'anthropologie vis...
Aix-Marseille Université

Cette première approche intitulée "De l'anthropologie classique à l'anthropologie visuelle" se compose de trois leçons :

- "De la théorie à la pratique de l'anthropologie visuelle" David Mac Dougall (Partie 1/3 ) : Le cours

- "De la théorie à la pratique de l'Anthropologie Visuelle" David Mac Dougall (partie 2/3) : Analyse des films

- "De la théorie à la pratique de l'Anthropologie Visuelle" David Mac Dougall (Partie 3/3) : Questions - réponses

"De la théorie à la pratique de l'anthropologie vi...
Aix-Marseille Université

"Il existe aujourd’hui un intérêt croissant pour l’anthropologie visuelle, même si personne ne sait très bien ce que c’est. Son nom même est un acte de foi, comme un costume qui a été acheté un petit peu trop grand dans l’espoir de grandir avec. En fait, ce terme recouvre un certain nombre d’intérêts fort différents. Certains conçoivent l’anthropologie visuelle comme une technique de recherche, d’autres comme un champ d’étude, d’autres comme un outil d’enseignement, d’autres encore comme un mode de publication, et d’autres enfin comme une nouvelle approche de la connaissance anthropologique (...)"

"En réfléchissant à l’anthropologie, nous avons tendance à oublier qu’elle est constituée autant par les enquêtes sur le terrain que par l’écriture et la lecture de textes. On pourrait même dire qu’il y a deux anthropologies, l’une s’exprimant largement au travers de la littérature et l’autre, pour une grande part inexprimée. Ces deux perceptions ne sont pas forcément en conflit, mais elles se différencient tellement par les qualités qu’elles appréhendent, et sont cependant si étroitement imbriquées qu’elles peuvent engendrer une certaine perplexité quant à l’anthropologie elle‐même dans l’esprit du chercheur. La première est l’anthropologie de la culture considérée comme méthodique, restrictive et envahissante. Elle est principalement concernée par les continuités consensuelles et systémiques dans la vie des personnes. La seconde est l’anthropologie culturelle envisagée comme fertile, productive et libératrice. Elle considère que la culture a moins d’influence sur les individus, et qu’elle leur offre plutôt les moyens d’entremêler la signification et le sens de soi dans des aspects plus largement partagés de la vie sociale. Son point de départ, et son objectif, est de savoir comment la culture est vécue par ceux qui finissent par lui donner forme et par la recréer pour eux‐mêmes. Il est bien possible qu’elle mette ainsi l’accent sur les aspects que la première anthropologie rejette (…) Cette seconde anthropologie – cette « structure plus intime de la culture » peut ainsi constituer l’un des fondements de l’anthropologie visuelle du futur."

"Le récent intérêt pour l’anthropologie visuelle a deux sources supplémentaires. La première est l’attention croissante portée par les anthropologues aux diverses expressions de la culture visuelle (incluant le film, la vidéo, la télévision), de la production d’images populaires (par exemple, la photographie, la peinture d’enseignes et les affiches) et de l’essentiel de ce qui était autrefois étudié sous la dénomination d’anthropologie de l’art. Ces modes d’expression visuels forment souvent les fils de systèmes culturels plus larges que Barthes décrivait comme les « tresses » de codes différents. A travers tant d’interconnections, l’anthropologie visuelle peut jouer un rôle dans l’étude de la plus grande partie de ce qui n’est pas visuel dans la société humaine. La seconde source d’intérêt pour l’anthropologie visuelle réside dans la capacité des formes visuelles (particulièrement le film et la vidéo) à devenir un médium reconnu de l’anthropologie − un moyen d’explorer les phénomènes sociaux et d’exprimer la connaissance anthropologique (…)"

David Macdougall, « L’anthropologie visuelle et les chemins du savoir », Journal des anthropologues [En ligne], 98-99 | 2004, mis en ligne le 22 février 2009, consulté le 09 février 2012.

"De la théorie à la pratique de l'Anthropologie Vi...
Aix-Marseille Université

Le cinéaste propose de répondre à certaines questions qui éclairent sa pratique du cinéma anthropologique :

1. L'anthropologue doit-il être un cinéaste ?

2. Y a t-il une convergence entre l'anthropologie contemporaine et le cinéma ?

3. Quelles différences entre le film et le texte

4. Quelles relations entre le cinéaste, le sujet et le spectateur

5. L'écriture est-elle conçue uniquement au montage ?

6. Quelle type de connaissance propose l'anthropologie visuelle ?

Marc Henri Piault Leçon 1 : Pour la conquête du mo...
Aix-Marseille Université

"La conquête politique et scientifique du monde"

Naissance et développement du cinéma et de l'anthropologie à partir de la fin du XIXème siècle. Postures scientifiques d'exploration du monde (collecte, identification, appropriation) et d'instrumentalisation à l'origine de l'émergence d'un langage du cinéma. Une conception évolutionniste du monde.

Dès son départ, le cinéma tente de saisir ce qui est l’objet même de l’ethnologie : les pratiques de l’être humain dans les relations qu’il établit et qu’il énonce avec ses semblables et avec l’environnement qui le situe et dont il dispose. Cependant la prise organisée d’images vise également à percevoir sinon marquer les frontières qui distinguent l’humanité de la nature à laquelle cependant l’être humain appartient tout en ne sachant pas toujours la place qu’il y occupe. Identification et distinction, telles sont les opérations constamment à l’oeuvre et dont on peut espérer qu’aucune jamais ne prendra le pas sur l’autre, leur balancement garantissant une vraie dynamique d’existence, de découverte, d’invention, de réalisation, un espace d’exercice de ce qui serait la liberté. A travers ces opérations s’élabore un constituant essentiels à tout récit, qu’il soit cinématographique ou narration de l’expérience ethnologique : le personnage filmé ou la personne dans son autochtonie anthropologique. Il est construit d’une part dans le cours d’un processus de caractérisation et d’autre part à travers une opération distinctive d’identification par rapport aux autre figures de compréhension et dans le cadre d’une mise en situation relative. Dans notre parcours nous suivrons les traces de ce personnage, autant dans le cinéma qu’en anthropologie, cherchant à reconnaître les différents moyens mis en œuvre pour son identification et sa qualification. 

Films étudiés: L. Regnault, Marey, Muybridge, Edison, Dickson (Indian war Council ; Sioux Ghosts Dance), C. Haddon, W.B. Spencer, R. Pöch, A. Kahn (Les Archives de la Planète)

Marc Henri Piault Leçon 7 : Cinéma vérité - Cinéma...
Aix-Marseille Université

La parole en action : cinéma-vérité, cinéma-direct ?

 

Richard Leacok, associé aux USA avec Robert Drew, Dan Pennebaker et Albert Maysles (Drew Associates) propose d’enregistrer les événements sans influencer leur déroulement et, à la limite, sans que la présence de la caméra ne soit perçue. C’est une exploration du champ apparemment paradoxal de l’objectivité engagée (R.Drew, R.Leacock, A.etD. Maysles : The children are watching) qui tentera une transcription de l’émotion dans la totalité d’un événement (D. Pennebaker : Monterey Pop). Voir et ressentir, ce sont là des propositions propres au cinéma direct.

La période de l’après-guerre est aussi dans le monde une période d’interrogation sur les appartenances et les définitions nationales. Au Canada le cinéma de l’Office National du Film, destiné d’abord à présenter le Canada aux Canadiens, permet de manifester différentes interrogations identitaires, en particulier pour les cinéastes québécois. Pendant les années 1958-1960 un courant appelé Candid Eye (l’Oeil Candide) vise à aborder la réalité du quotidien sans idée préconçue (Michel Brault, Marcel Carrière, Gilles Groulx : Les Raquetteurs ; Wolf Koenig, Roman Koitor : Lonely Boy/Paul Anka).Il s’agit aussi pour le cinéma québéquois de revaloriser une culture et une langue nationale en s’approchant des lieux, des gens et en partageant leur parole (Pierre Perrault : La Bête Lumineuse ; Pour la suite du monde, Le règne du jour, ...). Comme le dit Perrault : « Un dialogue vécu doit être tiré de la substance même des personnages. » Le cinéaste reste son premier spectateur et il se pose des questions avec lesquelles il rencontre les autres.

 

C’est ce qu’a tenté en France Mario Ruspoli  (Les Inconnus de la terre ; Regard sur le Folie ; La fête prisonnière). Pour lui, regarder c’est suivre et reconnaître l’intention des gestes et non pas les décomposer en suivant les plans unifiés d’une mesure universelle de l’efficace. C’est aussi, et peut-être surtout, écouter une parole en situation et non dans un dialogue préconçu par l’observateur.

Cette écoute est essentielle à l’établissement d’une situation anthropologique introduisant la présence de l’anthropologue dans ce dont il doit rendre compte : elle le met lui-même, par l’échange des regards, dans un processus partagé de connaissance. Les conditions à partir desquelles s'organise, se projette l'intention d'une réalisation filmique peuvent être décisives et c'est ce que nous montre l'expérience menée au Brésil de 1964 à 1980 où, pour échapper à la dictature, des cinéastes, lancés par Thomaz Farkas (Brasil Verdade ; Herança do Nordeste), vont tenter de faire le portrait cinématographié d’un peuple et d’une région, le Nordeste mythique du Brésil. Le cinéma se donne une mission rejoignant celle des sociologues brésiliens : définir l’identité d’un peuple. Connaissance et re-connaissance sont les objectifs poursuivis, c’est une construction de la réalité témoignant d’une société en mouvement et montrant ce qu’alors il faut cacher.

Cinéma et anthropologie
Aix-Marseille Université

Cette seconde approche intitulée "Cinéma et anthropologie" se compose de neuf leçons :

- Marc Henri Piault Leçon 1 : Pour la conquête du monde : "Anthropologie et Cinéma"

- Marc Henri Piault Leçon 2 : Vers un nouveau langage

- Marc Henri Piault Leçon 3 : Les pères fondateurs

- Marc Henri Piault Leçon 4 : Décrire, illustrer ou expérimenter

- Marc Henri Piault Leçon 5 : Vers un ajustement du regard

- Marc Henri Piault Leçon 6 : Les fracas de l'Histoire

- Marc Henri Piault Leçon 7 : Cinéma vérité - Cinéma direct

- Marc Henri Piault Leçon 8 : Vers un ethnocinéma

- Marc Henri Piault Leçon 9 : Anthropologie et Cinéma, Morale et Politique

Marc Henri Piault Leçon 9 : Anthropologie et Ciném...
Aix-Marseille Université

Le cinéma direct, inventé par Rouch, s’est largement développé au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande à partir des années soixante. La plupart des cinéastes et anthropologues anglo-saxons qui nous concernent, ont parcouru pour leur formation universitaire et professionnelle les différents pays anglophones où ils ont vécu et travaillé. Ils se connaissent presque tous et quelques uns ont travaillé ensemble.

En Australie, à partir de 1965 dix neuf courts métrages, sous la direction de Ian Dunlop en collaboration avec l’anthropologue Robert Tomkinson, filment la vie quotidienne de deux groupes aborigènes (People of the Australian Western Desert. A  nineteen part series on the daily life and technology of some of the last Aboriginal families to live a traditional nomadic hunter-foodgather life in the desert). Puis Dunlop tourne avec l’anthropologue français Maurice Godelier (Baruya Village Life). A partir de 1971, Dunlop s’engage dans une entreprise à long terme (The Yrrkala Film Project) : il suit un groupe aborigène dont la vie a été bouleversée par l’ouverture d’une mine de bauxite, l’urbanisation et l’industrialisation capitaliste. Le tournage devient un journal collectif, suivant les étapes de la recherche. Enfin, avec un très ancien informateur, il construit une rétrospective-bilan qui devient une conversation entre deux hommes ayant partagé une expérience commune (Conversations with Dundiway Wanambi) et qui ouvre à la réflexion sur les dynamiques identitaires et les processus d’aménagements interculturels.

Marc Henri Piault Leçon 5 : Vers un ajustement du ...
Aix-Marseille Université

L'anthropologie de cette première "après-guerre" du XX° siècle se consacre essentiellement à la réalisation de séries-inventaires ou de programmes thématiques à vocation pédagogique, confiés généralement à des cinéastes professionnels (programme du Musée de l’Indien Américain ; F.W.Hodge et O.Cattell : Land of the Zuni and community work ; Paul Fejös : Horizons Noirs).

Les films des ethnographes des premières décennies sont délibérément positivistes. L'anthropocentrisme blanc propose deux attitudes : la description distanciée des phases de l'humanisation ou l'émotion mystérieuse d'une différence irréductible. La Croisière Noire, récit d’un voyage à travers l’empire colonial français (Georges-Marie Haardt, Louis Audouin-Dubreuil), est de ceux qui, en France, font charnière, distinguant la découverte étonnée de l'autre de la nécessité imposée par la force de l'ordre métropolitain. L'exotisme envahit tous les secteurs de la création et le cinéma fait rêver à tous les horizons de la planète, rendus accessibles d'un coup de lanterne magique. Ce film est le poteau indicateur des relations entre ce que nous appellerions aujourd'hui le Nord et le Sud. La colonisation n’acceptait que les images justifiant cette soi-disant transition de la sauvagerie ou de la simplicité primitives vers l'instrumentalisation indigène (Le Baron Gourgaud : Chez les Buveurs de Sang ; Yves Allegret : Ténériffe ; René Clément : Au seuil de l’Islam ; L’Arabie Interdite).

Deux ethnologues français filment (Patrick O’Reilly : Popoko, île sauvage ; Marcel Griaule : Au pays des Dogons ; Sous les Masques Noirs). Le texte du commentaire des films de Griaule tente une objectivité descriptive démentie malheureusement par la déclamation d’un speaker de la radio ! Griaule percevait cependant le cinéma comme instrument de description et de mesure pour la recherche.

A partir des travaux de Margaret Mead et de Gregory Bateson en 1936, l’attention se porte sur le traitement par l’image cinématographique des identités psychologiques, des comportements, des attitudes et de tous les aspects non matériels des cultures. A des fins comparativistes, ils systématisent la prise quantitative d’images (Balinese Character : A Photographic Analysis ; 25000 photos, 6000 mètres de pellicule). Revendiquant l’appartenance de l’ethnologie au corps des « vraies » sciences, c’était une première initiative vers un repérage actif de secteurs privilégiés pour une exploration imagétique, en particulier dans le champ alors à peine reconnu des communications non verbales.